Portraits

Isabelle Masson-Mandonnaud, femme riche de ses réussites et de ses échecs

Isabelle Masson-Mandonnaud, créatrice de Sephora, Crazy Libellule et Sabé-Masson Soft Perfume est l'exemple même de l'entrepreneuse à succès. Jamais résignée, toujours curieuse, elle refuse la peur et transforme ce que d'autres nommeraient "échecs" en expériences d'une vie.

 

Ce mois-ci nous avons interviewé Isabelle Masson-Mandonnaud, co-fondatrice oubliée de la marque Sephora. Après de nombreuses expériences dédiées à l’entrepreneuriat, elle nous raconte comment ses échecs l’ont construite. Comment ses déceptions l’ont toujours menée vers le renouveau. Et comment cette « innovatrice [qui] aurai[t] pu être chercheuse » a toujours su rebondir.

Isabelle Masson-Mandonnaud

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots…

Je suis la fondatrice de la société Sabé Masson et de sa maison de parfum. Société qui est associée au groupe Upperside. Je me définis comme une créatrice et cheffe d’entreprise. J’ai une assez longue histoire en lien avec la distribution et la création via Sephora. Sephora était une société avant-gardiste avec son concept de distribution innovant.

J’ai inventé « le parfum de soin » (soft perfume = eau et huile uniquement) sans alcool. Sabe Masson a ses bureaux entre Paris et la Provence et nous venons d’ouvrir notre bureau de New-York. En mars prochain s’ouvrira notre e shop américain spécifiques USA.

Comment en êtes-vous arrivée à Sephora ?

J’ai débuté par l’École des Cadres à Vichy. Puis j’ai commencé un stage chez Shop 8 créé par Dominique Mandonnaud c’était durant les années 80. Il avait créé cette enseigne très innovante pour l’époque. Rapidement il est devenu l’homme qui allait être l’homme de ma vie, mon mari et le père de mes enfants. Ensemble nous avons transformé Shop 8 en Sephora. Nous avons axé beaucoup plus notre développement sur le service plus premium.

Isabelle Masson-Mandonnaud

À cette période la parfumerie n’était pas aussi accessible qu’aujourd’hui. C’était la vendeuse qui était la maitresse des lieux et on ne touchait à rien. Permettre aux clients d’accéder au produit a été très novateur. Pour la première fois femmes et hommes avaient le choix, le choix des marques, des produits, le choix de repartir sans rien. On retrouve les mêmes codes chez Sabe Masson. On laisse le choix au client.

Comment développe-t-on un succès comme Sephora ?

En travaillant beaucoup, en osant oser, en prenant des risques et en ne se décourageant pas. En ayant une idée neuve, en restant curieux et en croyant en ses rêves. Il faut porter des valeurs auxquelles on croit. Surtout il est aussi important de garder un certain respect. Une marque de cosmétique doit porter ce respect. Ce sont des objets de plaisir et de bien-être.

Comment vit-on l’entrepreneuriat lorsqu’on est une femme, à cette époque ?

Très bien. C’est fantastique la liberté d’entreprendre, les rencontres sont riches humainement. J’étais et je suis toujours respectée en tant que femme. Mais surtout les batailles que je mène je les mène en tant que cheffe d’entreprise et non en tant que femme. Ce sont des batailles qui sont les mêmes pour tous les chefs d’entreprise. A l’époque personne ne voyait qu’il y avait un homme ET une femme derrière Sephora. Sephora était la réussite d’un seul homme ; Dominique Mandonnaud. Et pourquoi pas puisqu’il en était l’instigateur, le créateur, c’était son idée magistrale mais il ne l’a pas fait seul.

En vingt ans les femmes ont fait beaucoup de chemin. Nous nous laisserons moins « effacer » derrière un homme, aussi génial soit-il. C’est un problème de reconnaissance de soi-même.

Comment avez-vous dépassé cette absence de reconnaissance ?

Cela ne m’a pas fait souffrir mais cela m’a indignée. J’étais indignée que le père de mes enfants, mon mari à l’époque, n’ait pas reconnu mon rôle dans ce développement et dans cette réussite. C’est de là que j’ai tiré ma force. Ce n’était pas un problème d’égocentrisme mais vraiment une indignation.

En 1997 vous revendez Sephora au groupe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), par quelle décision fait-on le choix de vendre une entreprise de cette envergure ?

Mon mari voulait arrêter et comme c’était sa création j’ai donc suivi le mouvement. Notre métier était de travailler sur l’unité d’un concept et non de le dupliquer dans le monde entier. Nous avons donc choisi le groupe qui nous semblait le plus adapté pour porter le concept de la parfumerie libre-service tout autour de la planète.

Isabelle Masson-Mandonnaud

Avez-vous regretté ce choix ?

Jamais ! Ni moi ni lui. Dans toute entreprise il faut savoir où sont ses propres limites. Il faut savoir ce dans quoi on excelle et ce dans quoi on est moins bon. J’avais moi aussi envie de vivre et de voir autre chose.

Vous relancez un nouveau concept quelques années plus tard avec Crazy Libellule and the Poppies. Ce succès est mondial. Vous avez reçu plusieurs prix de l’innovation. Est-ce que cette seconde expérience était une revanche ?

Ce n’était pas une revanche. Je n’ai pas ça en moi. La femme que je suis est riche de Shop 8, de Sephora et de Crazy Libellule. Crazy Libellule était un peu mon Shop 8. Il a fallu que je sois forte. Et j’étais forte car j’avais déjà eu cette première expérience. Il faut être calibré pour vivre ces épreuves. Il faut toujours rester curieuse et éveillée pour pouvoir rebondir.

Isabelle Masson-Mandonnaud

Puis arrive la décision une nouvelle fois d’abandonner ce nouveau « bébé » en pleine croissance.

Je n’ai pas pris la décision de l’abandonner. D’ailleurs nous n’avons pas abandonné Sephora, nous avons passé le flambeau a un groupe plus fort que nous. C’était le meilleur choix pour la marque. Crazylibellule a subi un hold up de financiers. La société a été dissoute. C’est une épreuve constructive sur laquelle je me suis appuyée pour rebondir, reconstruire plus fort, plus grand sûrement.

Quelles étapes du « deuil » sont importantes à franchir pour rebondir et se reconstruire ?

Le seul deuil est d’accepter l’injustice. Où qu’elle soit. Il faut la comprendre et il faut la dépasser. Cela ne veut pas dire qu’on oublie ou qu’on excuse. On va la transformer pour en faire quelque chose de positif. Je suis d’un tempérament à regarder les choses en face, toujours. Je préfère voir le pire car j’aime connaître mes portes de sortie. Et l’acceptation de pouvoir perdre est une force.

Il faut aussi prendre soin de soi et de son mental pour rester debout. Il faut repartir immédiatement. Comme remonter à cheval après une chute. Et apprendre à se servir de ses erreurs pour ne pas les renouveler. Enfin il faut aimer profondément la vie de l’entreprise pour reconstruire avec une nouvelle équipe.

Parlez-nous de Sabé-Masson Soft Perfume cette nouvelle aventure…

Nous sommes une maison de parfum innovante, inventrice du Parfum de Soin : le Soft Perfume. Une maison singulière, qui porte une parfumerie artistique et des Parfums qui prennent soin de la peau. Nous avons supprimé les alcools et autre matières premières quelconques. Une maison de parfum en labellisation Vegan qui est une vraie posture, exigeante, mais essentielle pour un monde meilleur.

Isabelle Masson-Mandonnaud

Nous venons d’ouvrir le bureau américain et cela m’intéresse particulièrement car nous allons aller comprendre le client et le marché US. Aujourd’hui chez Sabe Masson nous sommes dans un marketing loyal. On peut tout à fait rendre un produit désirable en parlant des valeurs fondatrices de l’entreprise. Il faut ancrer ce marketing sur un vrai savoir-faire. L’entreprise de demain doit se construire sur ces savoir-faire.

Que dites-vous aux femmes qui veulent se lancer mais qui ont peur de vivre cet échec ?

Il ne faut pas avoir peur. Toute la vie n’est qu’une succession de petites peurs. Si la peur rentre dans nos vies nous restons statiques. Il faut en faire une allier. Aujourd’hui je n’ai plus peur de rien. Je pourrais appréhender qu’il arrive quelque chose à mes enfants mais je n’ai plus peur. Il y a beaucoup de choses que je n’aime pas mais je n’ai plus peur profondément. La peur a été essentielle à la survie de l’humanité. Aussi il faut l’apprivoiser et qu’elle ne prenne pas le dessus sur nos décisions fondamentales. Elle doit rester un clignotant si on écoute son intuition mais jamais un feu rouge.

La peur peut paralyser et c’est une victoire de la dominer pour gagner en liberté. Les femmes seront de plus en plus libres, d’elles-mêmes et des autres si elles dominent leurs peurs. Entreprendre est finalement extrêmement féminin. Nous le faisons presque naturellement. Il faut imaginer, rassembler, motiver, reconnaître et aimer son métier en partageant nos quotidiens et nos succès et parfois même nos échecs.

Par Bérengère Soyer
Crédit Photos A.Lamachère / SABE MASSON

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