Portraits

MARIE ELOY, SERIAL ENTREPRENEURE, PRÉSIDENTE DE BOUGE TA BOITE

Bienveillance et entraide, pourquoi la sororité est importante à l'entrepreneuriat des femmes ?

Le 22 juin dernier, nous sommes allés à la rencontre de Marie Eloy. Fondatrice d'une école Montessori en Bretagne il y a quelques années. Également à l'origine du réseau féminin Femmes de Bretagne regroupant plus de 6000 femmes à ce jour. Et présidente désormais de Bouge ta Boite, entreprise qu'elle a créé en 2016. Marie Eloy est une entrepreneure dans l'âme qui croit avant tout à l'énergie des femmes réunies !

Qu'avez-vous fait avant d'être entrepreneure ?

Je ne savais pas ce qu'était être entrepreneure. J'ai fais cinq ans de droit après mon bac. Puis j'ai réussi le concours du CELSA à Paris. J'ai harcelé RFI (Radio Française Internationale) pour obtenir un stage chez eux et j'y suis finalement restée sept ans. Une des premières interview que j'ai faites était le Dalai Lama venu en visite en France. Je ne me suis pas lavé la main pendant 2 jours après qu'il m'ait tenu la main tellement j'étais heureuse ! Je travaillais pour différents magazines sur des sujets d'éducation ou de santé. J'adorais parler d'éducation car je pense que la façon dont fonctionne l'éducation détermine un pays. Je me suis baladée dans une cinquantaine de pays.

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Quel a été le déclencheur à l'entrepreneuriat ?

Je suis venue m'installer en Bretagne. Je suis Bretonne de coeur ! J'ai eu une petite fille et quand fut arrivé le moment qu'elle aille à l'école j'ai ni plus ni moins créé son école. Lorsque j'étais journaliste à RFI j'ai au l'occasion durant mes nombreux voyages de découvrir la pédagogie des écoles Montessori. C'était ma première expérience entrepreneuriale. J'y ai beaucoup appris !

Comment décide t-on de construire une école de ce genre ?

Bien souvent lorsque les femmes créent leur entreprise, il faut qu'elles y trouvent un vrai sens. C'est dans les "tripes". Pour ma part cette première expérience c'était pour ma fille. Il fallait que je la fasse. Il n'y avait absolument rien de rationnel. J'ai dû faire beaucoup de pédagogie auprès de mes futurs partenaires pour montrer ce qu'était le système Montessori. C'était le grand bain dans l'entrepreneuriat. J'ai été aidé par beaucoup de parents qui avaient adhéré au projet. Il y avait vraiment une énergie d'entraide. Tous ont mis la main à la pâte. Nous avons monté l'école en une semaine. J'étais alors co présidente puis présidente. C'était mon job à temps plein pendant un an et demi.

Quelles ont été vos peurs ?

Je n'ai pas vraiment eu de peurs mais j'ai rencontré tous les freins classiques. Je n'avais pas de financement, pas de prévisionnel, pas de réseau. J'ai tout fait seule. En parallèle de cela j'étais au RSA. Ce qui montre bien le souci avec les femmes et le fait de gagner de l'argent.

Puis est arrivée Femmes de Bretagne ?

Femmes de Bretagne est sortie également du plus profond de moi. J'avais deux enfants et j'étais au RSA. Dans un petit village. Je savais qu'il fallait que je trouve un nouveau projet à faire avec passion. J'avais besoin de retrouver l'entraide que j'avais connue lorsque j'ai créé l'école. C'est comme ça que l'idée du réseau est venue. Je n'avais jamais osé pousser les portes d'un réseau. Je ne savais pas du tout de quoi il s'agissait.

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Pourquoi n'avoir jamais OSÉ ?

Je ne me sentais pas légitime. Je pensais que ça n'était pas pour moi mais pour les "vrais" chefs d'entreprises. Je voulais donc un réseau où l'on se dise "c'est pour moi". Où l'on vient telle que l'on est. Où l'on n'a pas besoin d'endosser un costume. Ni d'être forte. Être simplement soi.

En quelques mots en quoi consiste le réseau ?

J'ai créé Femmes de Bretagne en septembre 2014. Nous sommes une association éligible au mécénat. Nous sommes soutenus par la région Bretagne et la Caisse des Dépôts. Également par des gros groupes comme la BNP et Generali. Par des fonds bienveillants comme Raise. Des entreprises locales comme Socomore. 6000 femmes font maintenant partie du réseau. On fait 350 rencontres par an. Il existe une énergie incroyable ! C'est un réseau qui NOUS ressemble.

Comment vous êtes-vous développés ?

Je n'y connaissais rien en recherche de fonds. J'ai la chance d'avoir un très bon conseil d'administration et notamment d'avoir la co présidente d'Initiative Bretagne avec nous. Elle m'accompagne depuis le début, elle est un peu ma marraine. Petit à petit nous nous sommes structurés et professionnalisés. Aujourd'hui il y a trois salariés. Nous avons 69 coordinatrices qui ont organisé des rencontres ou des ateliers de partage cette année. Cela consiste en un partage de compétences entre 10 et 60 femmes. Ces ateliers ont pour but de les faire grandir. On échange aussi autour de l'entrepreneuriat, des problématiques liées. Les adhérentes sont elles-même entrepreneures ou porteuses de projets. Il s'agit d'entraide. Je pense que ce qui fonctionne c'est de rester soi-même, telle que nous sommes, nous, les femmes. C'est l'authenticité qui prime. Actuellement nous sommes présents dans 32 villes de 5 départements Bretons. Notre réseau change vraiment des vies !

Parlez-nous de votre dernière création, Bouge ta Boite ?

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Femmes de Bretagne est une association. Bouge ta Boite c'est la suite logique. Je m'explique, beaucoup de femmes entrepreneures en France ne vivent pas réellement de leur activité. Seulement 12% en vivent. Ce qui nous donne 88% qui "survivent". Quand j'ai constaté cela, je me suis dit que c'était bien d'annoncer 30% de femmes cheffes d'entreprises. Mais si on n'en vit pas, quel poids pouvons-nous avoir dans l'économie française ? On nous parle d'égalité mais si nous avons si peu d'impact dans l'économie il n'y a aucun intérêt. Mon objectif avec Bouge ta Boite c'est faire grandir les femmes qui ont envie d'aller plus loin. Femmes de Bretagne leur permet que leur projet soit viable pour se lancer. Avec Bouge ta Boite on fédère celles qui sont dans la dynamique de faire grandir leur entreprise. Vous savez que nous avons 500 réseaux féminins en France. Il n'y a pas un réseau business à proprement parler ! Nous sommes très fortes pour l'entraide. Cependant nous n'arrivons pas à aller jusqu'à la monétisation. Quand on se "vend" nous les femmes, nous avons l'impression qu'il n'y a plus de sens. Nous avons le sentiment de briser nos "valeurs morales". Finalement c'est totalement compatible. Nous avons beaucoup de mal à nous approprier les codes du business. Culturellement et historiquement on ne nous a pas appris à le faire. Les codes économiques ne nous ressemblent pas car ils ont toujours été créés par des hommes pour les hommes.

Bouge ta Boite fonctionne en intelligence collective. Les moments de rencontre entre les Bougeuses sont sur le temps du midi uniquement. Ni le matin ni le soir car ces temps ne nous correspondent pas. Il y a un domaine d'activité par cercle de business avec 20 femmes maximum. L'objectif est de générer du chiffre d'affaire avec bienveillance et en restant nous même.

Quelle était votre ambition en créant une entreprise, est-ce que l'association ne suffisait pas ?

Bouge ta Boite est une SAS avec plusieurs actionnaires et des emprunts auprès des banques. À ce jour nous sommes 8 salariés. Nous sommes dans 22 villes avec une prévision de 150 fin 2019. Mon ambition était de vivre tous les freins qu'une femme rencontre en création d'entreprise pour pouvoir ensuite les lever. J'ai fait tout le cheminement possible de la création d'une entreprise pour vivre chaque étape les unes après les autres. Je voulais connaitre ce à quoi je poussais les autres. Aujourd'hui je suis la présidente de l'entreprise. Je trouve toujours cela intéressant de voir quel regard on porte sur moi en tant que femme présidente. Dès le départ je voulais pouvoir prélever un salaire pour ne pas tomber dans le cercle vicieux de la femme qui créé mais qui ne vit pas de son projet. Je voulais prouver qu'il est possible dès le premier jour de se rémunérer. J'ai créé pour cela le modèle économique adéquat. J'ai fait des levées de fonds auprès d'actionnaires... et ce sont tous des hommes.

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Quel est le principal frein des femmes ?

Comment financer leur entreprise correctement. Elles n'envisagent pas de financement donc elles voient petit. Trop petit. De même elles ont constamment des doutes liés au manque de légitimité et au manque d'exemple. C'est difficile d'être la pionnière dans un domaine.

Qui est votre modèle ?

Je n'en ai pas mais je sais que ce qui me nourrit, ce sont toutes ces femmes que je rencontre. Le courage et la résilience dont elles font preuve m'impressionne.

Est-ce que le courage est la clé de l'entrepreneuriat ?

Je pense que l'envie de changer les choses passe aussi par l'écoute de soi. Les épreuves que j'ai pu traverser - et que nous traversons toutes et tous - ont fait que je n'ai plus peur aujourd'hui. J'ai peur mais je fonce. Je reste droite. Je fais ce que je pense être le plus juste. J'écoute mes valeurs. Peu importe ce que l'on pense de moi. La notion de courage dans l'entrepreneuriat, de conviction, de persévérance est prégnante. Il faut s'accepter telle que l'on est et faire de son mieux. Ne pas chercher à être perfectionniste. Il faut apprendre à lâcher prise et faire de son mieux en fonction de son état. Être bienveillante avec soi-même avant tout et ne pas perdre son énergie à se combattre.

Qu'est ce que "la réussite" ?

Se correspondre, être droite, être heureuse avec soi-même. Il n'y a pas de définition toute faite de la réussite. C'est très personnel, chacun a son propre curseur de la réussite.

Qu'est ce que l'ambition ?

Ce n'est pas une chose négative. C'est aller au bout de ses rêves, ou au moins emprunter le chemin de ses rêves. L'ambition peut complètement se conjuguer au féminin. Sans la connotation mauvaise qu'on lui attribue.

Que dites-vous aux femmes qui veulent se lancer ?

Lancez-vous mais accompagnée ! Par un réseau, par un cabinet, par une CCI peu importe mais n'y allez pas seule. L'accompagnement est TRÈS important.

Par Bérengère Soyer
Crédits photos Entrepreneuze et Femmes de Bretagne

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