Je m’appelle Mathou, je suis illustratrice et autrice de bandes dessinées (elle insiste sur ce terme encore trop peu utilisé). Je suis Angevine, j’ai 35 ans. Je fais des dessins pour la publicité et pour des maisons d’édition. Je fais aussi des livres d’illustrations depuis 2016. J’ai fait des études en sciences politiques qui ne me destinaient pas du tout à être illustratrice mais plutôt assistante parlementaire ou directrice de cabinet. J’ai toujours beaucoup aimé dessiner, notamment lorsque je faisais mes études, je dessinais pour la revue politique de Sciences Po.
J’ai donc fait valider les connaissances que j’avais acquises en autodidacte par des formations diplômantes. Étant victime du syndrome de l’imposteuse, inconsciemment, il fallait que je valide le fait que je savais dessiner ou me servir de mes logiciels. Et puis je me suis lassée du travail que j’avais à ce moment-là de ma vie. Mon compagnon était fonctionnaire, j’avais du matériel informatique déjà à moi. J’ai donc vu cette « autoroute du kiff » qui s’ouvrait à moi et je me suis lancée en indépendante !
J'ai eu quelques angoisses au début. C'était en 2011 et j'ai vraiment eu cette impression que les gens étaient méfiants par rapport à mon projet. C'était "mignon" mais je ne sentais pas les gens me pousser dans cette direction. Il y avait moins ce mouvement "girl power" que l’on vit aujourd'hui. On nous pousse plus à nous lancer maintenant.
Malgré tout, j'étais bien décidée à monter ma boîte. J'avais déjà un ou deux clients qui allaient me permettre de me lancer. Malheureusement, j'ai eu une mauvaise expérience avec un programme d'accompagnement à la création d'entreprise. J'ai eu droit à tous les clichés possibles quand on se lance et que l'on est une femme. Cette personne me disait que les aides n'existaient pas si je tombais enceinte la première année, que la CAF (Caisse d'allocations familiales) ne me donnerait rien, que l'assurance maladie ne fonctionnerait pas, etc. Le discours de cet homme était tout simplement honteux ! Heureusement, je me suis tournée vers un autre organisme qui m'a apporté toutes les réponses que je cherchais pour me lancer. Je suis alors devenue graphiste car je n'assumais pas encore l'illustration.
Pour moi, je n’étais pas dessinatrice, je faisais un peu de dessin pour les amis, la famille, etc. mais ce n’était pas mon métier. Et puis quelques clients ont commencé à me commander des dessins. J’avais aussi ouvert un blog en 2007 où je partageais mes illustrations. J’ai communiqué sur ce blog via Facebook et Instagram lorsque c’est arrivé en France. Et en 2015, le blog a explosé du jour au lendemain. Je suis passée de 3 ou 4000 fans à 50 000 en deux mois.
Et aujourd’hui, j’en suis à près de 250 000 sur Facebook et 80 000 sur Instagram. Ce qui fait une grosse communauté qui suit mon travail au quotidien. Cette communauté m’a amené de nouveaux clients, mais m’a aussi obligée à travailler chaque jour davantage pour continuer à partager mes dessins. La contrepartie de cette visibilité grâce aux réseaux sociaux est que je me sens « moins légitime » dans le milieu de l’illustration.
Du point de vue de la société et de toute ma communauté, j’ai, bien sûr, toute la reconnaissance possible pour mon travail. Mais du point de vue de la profession, j’aurai toujours l’impression de devoir faire mes preuves. Je reste la « petite meuf » qui fait des dessins pour faire plaisir aux gens. Malgré tout, c’est aussi cette posture de l’imposteuse, que je m’impose, qui m’oblige à repousser toujours mes limites. Par exemple, pour ma première bande dessinée illustrée, Colette , est-ce que je serais allée au bout du projet si je ne m’étais pas dit : « Es-tu capable de raconter une histoire de la page 1 à la page 200 en faisant passer des émotions ? » Pour moi, c’était un énorme défi dont je suis très fière aujourd’hui.
Je cherche à cocher les cases que j’estime être importantes pour ma crédibilité. Après ces deux premières expériences qu’ont été Colette et Les Wonderwomen , j’aimerais me lancer dans un livre un peu plus personnel qui parle de mes émotions. Ce sont les nouveaux challenges qui me poussent.
Je pense qu’aujourd’hui, on peut difficilement être artiste sans être entrepreneuse. On doit être multitâche : savoir faire la compta, gérer la communication, aller chercher de nouveaux clients. Mais ce que j’aime avant tout aujourd’hui, c’est être artiste. Créer des emplois et faire vivre des gens, ça m’angoisserait énormément. Et j’admire beaucoup les gens qui le font.
Personnellement, je ne « crée pas de richesses », je suis artiste-auteure en entreprise individuelle. C’est un statut compliqué car les artistes-auteurs ne sont pas forcément payés à hauteur du travail réalisé. J’ai donc choisi d’engager un agent pour négocier les cachets et savoir prendre le recul nécessaire que je n’ai pas forcément sur mon travail.
Cela me tenait à cœur d’universaliser des thèmes comme l’estime de soi, la confiance en soi ou l’éducation des enfants. L’idée est vraiment de nous déculpabiliser dans nos rôles de femme, de mère, d’épouse, d’entrepreneuse, etc. Il faut être réaliste sur ce que nous sommes. Mon travail est, de fait, dans cette optique de réalisme.
J’ai besoin d’un retour critique de la part de mon entourage. Mes proches vont avoir un regard objectif sur mon travail et même si je prends toujours la décision finale, j’ai besoin de ces avis qui comptent. Ce serait trop difficile de ne pas être entourée de mon compagnon, de mes amis, de ma famille. J’ai besoin que mon avis soit confirmé et s’il ne l’est pas, de savoir pourquoi. Il faut constamment se remettre en question, que l’on soit artiste ou entrepreneuse, ou les deux !
Le doute qui te fait te dire « Mon dieu, je n’ai pas de boulot ce mois-ci, je vais trouver un travail salarié. » est toujours présent. Surtout dans ces métiers-là et encore plus lorsque l’on est à son compte. Mais c’est une passion. Tant que j’aurai l’inspiration, je ne m’arrêterai pour rien au monde. C’est tellement agréable lorsque, en dédicace, une personne que tu ne connais pas, dans une ville que tu ne connais pas, te dit « J’adore ce que vous faites. » C’est une drogue !
Je lui dirais que toutes les barrières que l’on se met sont avant tout dans la tête. Que certes, c’est une responsabilité folle que d’être indépendante. Lorsqu’une bêtise est faite, tout retombe sur soi-même. Mais lorsqu’il y a une réussite, tout est pour soi-même également. Personnellement, je ne veux rien devoir à personne. Et c’est une liberté énorme.
Je suis très heureuse de tout ce que j’ai aujourd’hui et si j’avais devant moi une jeune fille, ou même la jeune Mathou de 20 ans, je lui dirais de foncer. Que les études qu’elle fait et qui n’ont rien à voir serviront toujours. Que tout va bien se passer. Qu’il y a toujours du bon partout. Il faut être exigeante, il faut être carrée, il faut donner satisfaction. C’est comme ça aussi que l’on arrive à ce que l’on veut. La réussite, pour moi, c’est se réaliser dans sa vie professionnelle de manière personnelle. J’adore ma fille du fond du cœur mais je ne pourrais pas être uniquement mère. A contrario, je ne veux pas tout donner à mon travail. Ma réussite, c’est mon équilibre. Et le petit plus, c’est de donner du bonheur aux gens à travers mes dessins.
Par Bérengère Soyer
Crédits photos Entrepreneuze et Christophe Martin Photographe
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