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Portraits

Une entrepreneuse BLEUE et verte... Laure Rondeau Desroches

Elle parle le "green entreprise", depuis bien plus longtemps que les prises de conscience actuelles. Laure Rondeau Desroches nous parle de son parcours pour l'entreprise responsable.

Qui êtes-vous Laure ?

Je m’appelle Laure Rondeau Desroches, j’ai 40 ans. Il y a 12 ans, j’ai posé mes valises à Angers, où j’ai fondé une famille. Je partage ma vie avec 4 hommes : mon mari et mes enfants. En janvier, j’ai créé Bleue : un cabinet de conseil en stratégie de développement durable pour les entreprises et les collectivités.

L’entrepreneuriat, c’était un but pour vous ou le fruit d’un cheminement ?

Laure Rondeau Desroches

Bleue est la suite logique de mes expériences passées dont une en particulier, qui a été déterminante :

En 2004, j’ai rencontré Ray Anderson et son entreprise, Interface. Cet entrepreneur visionnaire et engagé est devenu un véritable mentor pour moi ! Avec Interface, j’ai découvert une incroyable Entreprise à Mission. Et c’était bien avant la loi PACTE ! Dès 1994, Ray Anderson a lancé Interface dans la Mission Zéro : engagement de n’avoir plus aucun impact négatif sur l’environnement d’ici 2020 et, au-delà, essayer d’avoir un effet bénéfique pour la nature et les communautés, pouvoir rendre à la planète ce que l’entreprise lui a pris.  Cette mission s’est depuis peu transformée en Climate Take Back, avec pour ambition d’inverser le changement climatique à une échéance 2040.

Je suis restée 13 ans dans cette structure où j’ai vraiment pu vivre ce qu’est le développement durable à tous les niveaux de l’entreprise : stratégique, opérationnel, commercial, innovation produit, marketing… C’est pendant cette période que je me suis forgé une conviction : quand une entreprise comprend ce qu’est le développement durable dans ses 3 dimensions (environnementale, économique et sociale) et qu’elle le met au cœur de sa stratégie, elle a les clés pour identifier les enjeux de son marché et élever sa démarche à un niveau où l’entreprise devient source de solutions et peut rendre des services écosystémiques, tout en restant économiquement viable. Durant cette période, j’ai beaucoup parlé du modèle Interface, partagé cette étude de cas d’école en me disant : « Je vais finir par rencontrer des entreprises qui dépassent le maître… » Mais non, à part le classique Patagonia, je n’ai jamais connu d’entreprise qui ait à ce point transformé son modèle industriel. C’est pourquoi j’ai décidé de passer du côté conseil pour continuer à passer le message au plus grand nombre et témoigner : « C’est possible ! Si une entreprise de moquette est capable de le faire, tout le monde le peut ! »

Aujourd’hui, je suis dans une dynamique de rencontres géniales, de développement d’opportunités, j’ai la sensation d’être en phase avec mes objectifs professionnels et l’entrepreneuriat me donne une liberté folle pour initier les projets que je porte depuis longtemps.

L’entreprise, c’est la solution pour l’environnement ?

L’activité de l’entreprise, de manière générale, qu’elle produise des biens ou des services, est un problème pour l’environnement ! Elle épuise des ressources, consomme de l’énergie, émet de nombreuses toxicités, génère des déchets sur l’ensemble du cycle de vie, dans des conditions sociales parfois pauvres, et sans maîtriser les conditions dans sa chaîne de valeurs… Ça, c’est le côté sombre… Mais ce n’est pas une fatalité !

Durant toutes ces années, j’ai aussi pu faire l’expérience de ce que peut être une entreprise qui comprend la nécessité de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire et qui ne cesse d’innover pour trouver des solutions (fibre 100 % recyclée, première fibre biosourcée, premier système d’installation sans colle, développement du microtuft pour utiliser 50 % de fibre en moins, invention de la pose aléatoire pour limiter les chutes d’installation à 1-2 %, usine des Pays-Bas zéro déchet en décharge, 100 % énergie renouvelable, etc.). J’ai vraiment compris qu’il était possible de trouver une certaine forme d’équilibre avec l’écosystème tout en étant profitable.

L’entreprise a un vrai rôle à jouer dans la transition écologique, c’est ce rôle que vous souhaitez accompagner ?

En tant qu’acteur économique, l’entreprise représente une force de frappe importante – c’est le maillon qui peut vraiment renverser la tendance. La prise de conscience citoyenne sur l’environnement n’a jamais été aussi forte que depuis cette fin d’année 2018, début d’année 2019 (démission de Nicolas Hulot, l’affaire du siècle, multiplication des marches pour le climat, grève internationale des scolaires, des scientifiques…). La prise de conscience politique, même si elle est loin d’être suffisante, fait évoluer la réglementation dans le bon sens (devoir de vigilance, déclaration de performance extra-financière, loi PACTE…).

Mais tout ça n’est pas suffisant pour faire bouger les lignes rapidement. Ce qui fait vraiment la différence, c’est quand une entreprise se dote d’une mission au-delà de ses objectifs commerciaux. Cela devient un levier d’innovation énorme, on retient les talents, on emmène tout le monde avec nous : employés, fournisseurs. C’est un moteur exceptionnel.

En toute honnêteté, lorsqu’on dit qu’on travaille pour une entreprise de moquette, ce n’est pas très sexy. Par contre, dire qu’on travaille pour une entreprise qui a pour mission de n’avoir plus aucun impact négatif sur l’environnement, ça, c’est super sexy. Et c’est très rentable pour l’entreprise à plusieurs niveaux (économies d’énergie, nouveaux marchés, innovation, rétention des talents…).

Le déclic de l’entrepreneuriat est arrivé à quel moment ?

J’ai quitté Interface en 2017 pour intégrer le cabinet parisien de conseil en stratégie développement durable Utopies, avec pour objectif de monter une antenne locale à Angers. Je suis originaire de l’Ouest, et je connais bien le tissu et la culture économiques de la région. J’ai l’ambition de pouvoir accompagner ces entreprises à mieux comprendre les enjeux, à transformer leur modèle, à repenser leur raison d’être.

Chez Utopies, je passais finalement beaucoup de temps sur les projets parisiens et peu sur le développement dans l’Ouest, alors j’ai décidé de me lancer et de voler de mes propres ailes début 2019. Ma structure est officiellement née le 15 mars dernier.

Vous avez choisi d’appeler votre cabinet Bleue, un peu plus de détails… ?

J’aime « Bleue » parce que je ne voulais pas de vert !

J’aime « Bleue » pour planète bleue !

Bleue évoque également la dimension économie circulaire et le concept d’Économie Bleue de Gunter Pauli (ndlr : The Blue Economy).

Au-delà du conseil, « Bleue » a d’autres projets en rapport avec les rivières et les océans (donc bleu, c’est plutôt la bonne couleur).

J’ai aussi choisi de mettre le mot au féminin pour la douceur et toutes les valeurs qui en découlent : empathie, bienveillance, amour…

Quel est le rôle de Bleue aujourd’hui ?

L’objectif de Bleue, c’est de faire prendre conscience aux entreprises que leur modèle peut impacter de façon positive l’environnement et les gens, tout en étant économiquement viable. Les entreprises doivent retrouver le pourquoi de leur mission. Il faut dépasser le fait d’être rentable pour viser plus haut. On a oublié le but originel de l’entreprise : se rassembler pour offrir des solutions et travailler pour le bien commun.

Laure Rondeau Desroches

L’économie des 50 dernières années s’est développée dans l’optique de produire plus pour gagner plus. Ce modèle ne fonctionne plus dans ce monde aux ressources limitées. (Pour rappel : le jour du dépassement, c’est le jour où l'humanité a dépensé l'ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en une année. En 2018, il a eu lieu le 1er août et il est de plus en plus tôt chaque année.)

Aujourd’hui, une entreprise peut repenser l’approche de la commercialisation et viser un but plus vertueux et durable sans mettre en péril ses objectifs stratégiques, bien au contraire.

Concrètement, ça donne quoi ?

La clé de voûte de l’entreprise, c’est le produit (ou le service) qu’elle propose. C’est la bonne porte d’entrée pour commencer à agir : réfléchir aux enjeux de son marché. Quels impacts ce produit ou ce service va-t-il générer sur l’ensemble de son cycle de vie ? Impliquer les parties prenantes internes et externes, considérer les externalités négatives, évaluer les risques et opportunités et tendre vers plus de circularité, de fonctionnalité. Comment éliminer les impacts négatifs de l’entreprise et tendre vers l’impact positif ?

Pour reprendre l’exemple d’Interface, l’un des axes de travail de l’entreprise était « nouvelles façons de commercer », car vendre le produit en tant que tel n’est pas une fin en soi. N’est-il pas possible de développer des services autour de la dalle de moquette ? Des services de design, de maintenance, de récupération en fin de vie pour valorisation, qui permettraient de se concentrer sur l’usage du produit et de passer de la vente du produit à la location de services. On appelle ça l’économie de la fonctionnalité.

Pourquoi produire toujours plus ? On peut développer des services à la place. Comme, par exemple, récupérer la moquette en fin de cycle : nettoyée, elle peut être vendue d’occasion pour des marchés qui n’ont pas les moyens du neuf. Voilà un exemple et une nouvelle façon de trouver des sources de revenus sans avoir à produire plus. On sait aujourd’hui que si l’on veut inverser le processus de réchauffement du climat, il faut dès maintenant arrêter l’extraction de matières premières. Vous imaginez la difficulté pour les entreprises aujourd’hui ?

Le rôle de Bleue, c’est d’accompagner les entreprises à transformer leur modèle et guider les dirigeants vers cet objectif.

Au-delà de son objectif, Bleue a-t-elle une mission elle aussi ?

Oui ! En intra, j’ai tenu à ce que mon entreprise soit en phase avec la loi PACTE, c’était une trop belle avancée de la réglementation à un moment opportun pour moi. J’ai donc eu à cœur d’inscrire dans mes statuts le fait que je voulais conduire mon activité en respectant l’environnement et les gens. J’ai conscience que l’impact de mon activité réside principalement dans les transports et dans l’IT (téléphone et ordinateur).

Concrètement, j’ai choisi de domicilier les comptes de Bleue dans une banque responsable : le Crédit Coopératif. J’ai également opté pour un partenaire comptabilité engagé en matière de RSE. Je travaille depuis chez moi pour les RDV, je me déplace au maximum en train ou à vélo. Je réfléchis aussi à l’impact positif que peut avoir Bleue sur la société. C’est pourquoi je travaille sur d’autres projets en parallèle, en lien avec la protection des océans (mais il est trop tôt pour en parler).

C’est aussi un choix côté perso : nous avons des panneaux solaires thermiques. Nous récupérons l’eau de pluie pour alimenter les sanitaires du studio au rez-de-chaussée et arroser le jardin. Nous achetons autant que possible en vrac, privilégions les circuits courts (drive fermier, marché, Utopie’hall…), nous avons un compost, limitons les achats neufs, je fais parfois ma lessive…

Laure Rondeau Desroches

J’essaie aussi parfois d’accompagner l’école de mes enfants sur ces questions : ils ont notamment organisé, le jour de la grève internationale des scolaires, le 15 mars dernier, une petite projection : une animation sur le colibri (chacun fait sa part) pour les petits et une vidéo de Greta Thunberg pour les plus grands. 2 classes (CP/CE1) ont même organisé une sortie ramassage de déchets (3 kg ramassés en 30 min). Il faut agir aujourd’hui dans les entreprises et il faut également accompagner la prise de conscience et les nouveaux réflexes dès l’école si l’on veut que cela devienne complètement naturel pour tous demain !

Selon vous, les entreprises sont-elles prêtes à évoluer en ce sens ?

Comme je l’ai dit précédemment, fin 2018 a été riche et mouvementée sur ces sujets, avec une grosse prise de conscience de la société civile. Le mouvement prend de l’ampleur, c’est incroyable, troublant. J’en parle depuis 15 ans et d’un seul coup, j’ai l’impression que tout le monde se réveille. Ce qui est plutôt cool et va nécessairement « forcer » les entreprises à s’y intéresser.

La réglementation pousse également les entreprises dans cette direction avec le devoir de vigilance, la loi Sapin, la DPEF qui oblige les grandes entreprises à déclarer leurs impacts en fonction de leurs enjeux. La cerise sur le gâteau, c’est la loi Pacte avec son article 61 qui reconnaît les entreprises à mission. Le droit stipule désormais que l’entreprise doit prendre sa part de responsabilité dans le développement collectif. Il y a une vraie accélération dans la prise de conscience, c’est évident !

Mais attention, il faut être vigilant, c’est une période d’effervescence sur les sujets climat, entreprises à mission, révolution de l’impact positif et je crains un phénomène de sur-communication, ou d’un « mission-washing », comme ça arrive à chaque fois. Il faut être transparent et en phase avec ce que l’on fait vraiment, sinon c’est contre-productif.

Par Violaine Berté
dits photos Interface et Bleue

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